All the directions – Mircea Cantor – Musée d'Arts de Nantes
Je vais bien.
Le fitness y est pour beaucoup. Ça m’a permis de remonter la pente. Au départ, c’est Olivier, mon collègue, qui m’a convaincu de l'accompagner. Et puis, peu à peu, j’ai mordu au truc. Quand on devient accro, ça change beaucoup de choses. Pour avoir des résultats, il faut arrêter les conneries – la bibine, la fumette, les soirées à rallonge. Pour ceux qui vivent en solo, c'est pas évident de respecter un cadre, une hygiène de vie. La muscu m'a imposé cette discipline.
Bien après, Olivier m'a avoué qu'il était en service commandé, à l'époque. Mon travail commençait à souffrir de mes écarts. J'allais me faire virer. Avec le recul, je sais que je l'ai échappé belle. J'avais déjà assez de problèmes comme ça, je n'aurais pas résisté à la perte de mon job. La vie, parfois, c'est comme un carrefour sans indications ; on prend une direction au hasard. Là, c'était la bonne.
Ça fait cinq ans que je m'y suis mis. Cinq ans et quinze kilos de muscles en plus, y'a pas photo. Je viens au club presque chaque jour, une heure, plus quand on discute entre costauds. C'est du plaisir et de l'émulation. On compare nos performances, on échange des conseils : exercices, technique, régimes, compléments alimentaires…
On parle aussi look et nanas, si on est entre hommes : silhouette, barbe, tatouages… attention, il y a des filles dans notre groupe, des acharnées de la fonte. Celles-là, c'est comme des frangines. Elles bossent dur comme nous, on fait pas la différence. Mais bien sûr, on raconte pas nos histoires de meufs avec elles.
Dans l'ensemble, on n'a pas trop de difficultés. Après, ça dépend de chacun. Une petite moitié est en couple, plus ou moins monogame. Les autres profitent. À force, ils m'ont persuadé d'aller sur les applis de rencontre. Au début, je voulais pas. Sans doute que je rêvais encore du grand amour, comme celui que j'avais cru vivre.
Pour mon profil sur Tinder, c'est Quentin qui a scénarisé la photo. Il m'a shooté de trois quarts avant, en train de faire un squat, avec le dragon sur mon biceps gauche. Je trouvais ça too much, mais au final il avait raison. Je reçois presque assez de likes pour me contenter d'y répondre.
En fait, je matche ou je like seulement des femmes qui affichent leur photo. Ça évite les surprises, et de perdre son temps. De l'humour pour amorcer, en espérant du répondant en face. Quatre à cinq échanges en ligne, normalement, ça suffit. Sinon, je ghoste, je disparais. Dans la semaine, un date dans un lieu public, ça rassure. On voit si le courant passe. Si oui, on va chez moi ou chez elles, jamais à l'hôtel. Tinder, c'est pas fait pour se compliquer la vie.
Et la mienne, elle est devenue super simple : le travail, le fitness, Tinder et Netflix. Le travail pour avoir ma place et gagner correctement ma vie, le fitness pour être au top, et Tinder pour les plans cul. Netflix, c'est différent. C'est mon arme contre la déprime. Elle me saute dessus, des fois, après une soirée où tout baigne. La femme qui coche toutes les cases repart. Je suis vidé comme après une séance au club. Pas sommeil. Et voilà que je me mets à penser à toi, ou même à te parler, comme maintenant. Alors, je me branche, je chope une série et je mate les épisodes jusqu'à l'abrutissement.
Ce matin, en partant bosser, j'ai croisé ce type bizarre à un carrefour désert. Il tenait une pancarte effacée, avec l'air d'avoir passé la nuit à attendre qu'une voiture l'emmène Dieu sait où. Le visage cabossé de ce bluesman qu'on était allés voir ensemble. Tout m'est revenu d'un coup. La voix caverneuse du chanteur, son Stetson vissé sur le crâne. Toi, la main sur ma cuisse, la tête sur mon épaule ; ton parfum. Et le dernier morceau, qui foutait un cafard tenace, et qui se terminait par "leavin' you was my only mistake".
Ma seule erreur, c'est de t'avoir quittée.
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