L'eau est là !
- HenriBD
- 28 mars
- 4 min de lecture

En général, je ne me plains pas de temps qu'il fait. Cela dit, le climat change, on le voit bien. Des phases de sécheresse, des périodes de pluies interminables… et c'est vrai que ces dernières semaines, ça faisait beaucoup. Trop, même.
Après, c'est aussi une histoire de topographie ; quand je vais au village, je commence par descendre de deux mètres, jusqu'au pont, puis je remonte de 35 pour arrive au supermarché. Sur cinq kilomètres, on s'en aperçoit à peine, mais toujours est-il que si le village est hors d'eau, ce n'est pas le cas de la maison. Enfin, ce n'est plus le cas.
Et les pouvoirs publics ? C'était avant qu'il aurait fallu agir, tirer la leçon des crues de 95. Bien sûr, ils ont alerté, prévenu du danger. Et puis, comme ils ne pouvaient pas faire grand-chose pour arrêter l'eau, ils ont protégé Redon en priorité. Les villages alentour passent après. Redon, c'est une cuvette au confluent de deux cours d'eau. Alors, les inondations, ils les accumulent. Redon et les inondations, c'est redondant.
Je cause, je cause… à Dieu sait qui, mais quoi faire d'autre ? Mon iPhone, je l'avais mis au pied du lit en me couchant. J'espère qu'il est étanche, je veux dire vraiment étanche. En attendant, je suis coupé du monde. Si Stéphanie était restée, on se serait peut-être mieux organisés. Elle a un sens pratique que je n'ai pas, et le sommeil plus léger que moi. Pas de bol, elle est chez sa sœur pour l'aider à sauver ce qui peut l'être de son commerce. Et tenter de luis remonter le moral. De toutes façons, avec un mètre d'eau dans la maison, peut-être plus, ce n'est pas surélever les meubles qui aurait changé grand-chose.
Non, c'est mieux qu'elle soit à l'abri. Quand je me suis réveillé –l'odeur, ou le silence, ou les deux ? – quand je me suis réveillé, ça été le choc. S'asseoir sur son lit et se retrouver les jambes dans l'eau, je souhaite ça à personne. Pas de lumière, la panique totale dans le noir. Puis j'ai réalisé qu'il y avait un vélux dans la pièce – où ? – avant de le trouver en tâtonnant dans la bouillasse, et d'arriver à l'ouvrir. Là, il y avait un peu de clarté, la demi-lune, et, par chance, il ne pleuvait pas. Je me suis un peu calmé.
J'ai commencé à réfléchir. De l'eau aux genoux, j'avais froid. Je distinguais tant bien que mal l'armoire, je l'ai ouverte ; j'ai attrapé une couverture, et deux pull-overs secs. À tâtons, J'ai pris ma tenue de chantier avec mon harnais et mes chaussures de sécurité, même si tout ça était mouillé. J'ai récupéré toutes les ceintures que j'avais, je les ai nouées ensemble pour pouvoir m'accrocher à quelque chose sur le toit. Et j'ai réussi à me hisser par l'ouverture.
Impossible de me tenir en équilibre. J'avais imaginé ramper jusqu'à la cheminée et m'y arrimer, j'ai dû me contenter de la poignée du vélux. Je me suis emmitouflé dans la couverture. C'était moyen comme confort, les crochets des ardoises me rentraient dans la peau et j'avais les pieds dans le vide. Mais c'était mieux que d'être piégé dans ma chambre ou de glisser dans la flotte en pleine huit. J'ai attendu dans le froid, coupé du monde.
Pas possible de dormir, plein de questions dans ma tête. Est-ce que Stef a suivi la progression de la crue ? Si oui, elle a sûrement essayé de me joindre, elle doit s'inquiéter terriblement. Mais peut-être dort-elle, épuisée après une journée à nettoyer et à vider la boutique ? Et les Dumont, nos seuls voisins, sont-ils aussi piégés chez eux ? Quand les secours vont-ils arriver ? Sûrement pas avant qu'il fasse jour. En Zodiac, en hélico ? Et la maison ? Je n'ose pas imaginer les dégâts ! Que paieront les assurances ? Est-ce qu'on va rester ici ? Elle ne vaudra plus rien, qui nous indemnisera ? Dire qu'on pensait à partir s'installer au village, pour s'installer dans le nouveau lotissement !
J'ai sans doute somnolé un peu. Des crampes dans les jambes, j'essaie de me masser d'une main, sans trop gigoter. J'ai soif, c'est le comble ! Le jour s'est levé, pâle matin de janvier. La maison est cernée, l'eau dépasse les fenêtres. La Vilaine a disparu, noyée elle aussi. Une étendue ocre sale, que les haies découpent en mosaïque, l'a remplacée. Au-dessus, un ciel indéfinissable, uniformément blême. Absence de couleurs, absence de bruits, rien ne bouge. La vie est suspendue.
Pas tout à fait. Sur ma gauche, à deux cent mètres, la maison des voisins, et j'aperçois les Dumont, Eux, ils ont un toit terrasse ! C'est sympa en été, aujourd'hui c'est précieux, d'autant plus que Léa est enceinte jusqu'aux yeux de leur premier enfant. Pourvu que le stress ne la fasse pas accoucher. Ils me font des signes, j'en fait autant, allongé sur le toit. À cette distance, on peut pas faire mieux.
Je suppose qu'ils se posent moins de questions que moi en ce moment. Leur maison et ce qu'il en restera, ça passe après. Leur priorité, c'est le bébé. Ils ont galéré pour l'avoir… alors, quand ils en seront sortis, ils vont se battre pour lui. Un enfant, ça oblige à regarder devant. On aurait peut-être dû faire comme eux, au lieu de repousser ça d'année en année. Aujourd'hui, Stef et moi, on a quarante ans, c'est presque trop tard.
Un vrombissement se rapproche. Un hélicoptère jaune et rouge, surgi de la grisaille, grossit et vient s'immobiliser au-dessus de la terrasse des voisins. Comme à la télé, un homme se laisse glisser jusqu'à eux puis les hélitreuille à tour de rôle. Ouf, Léa et son futur bébé sont sauvés des eaux. Puis c'est mon tour. Nous voilà tous les trois en sécurité, entourés par l'équipe qui nous ramène, les voisins avec leurs espoirs, moi avec mes questions, les nouvelles et les anciennes qui remontent à la surface.
Finalement, on file sur le Centre Hospitalier de Redon. Léa n'a pas accouché sur la terrasse, mais c'était moins une.
Elle vient de perdre les eaux !
Comments