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La petite mort



Cédric vient de ramper jusqu'à un buisson. Il est enfin à couvert. Il reprend son souffle. Les brindilles lui chatouillent les narines, il réprime un éternuement. Pas le moment. Le silence est total, les moindres bruits portent. Il regarde. La forêt est à une centaine de mètres, plein nord. Combien sont-ils encore en vie ? Il ne sait pas. Il y a eu ces détonations sèches, tout à l'heure, en contre-bas. Quelques cris, il a cru reconnaître les voix de Chris et d'Enzo. Puis plus rien. Il connaît les règles d'engagement – pas de prisonniers. Il a un mauvais pressentiment. S'ils se sont fait avoir, ils ne sont plus que trois du commando.


Un craquement sur sa droite. Il tourne la tête. Deux hommes, en casque et treillis vert, qui progressent prudemment, courbés jusqu'à toucher le sol de leurs mains. Il retient sa respiration. S'il arrive à pivoter sans bruit, il peut les abattre tous les deux, mais il va révéler sa position, se rendre vulnérable. Après, il faudra qu'il fonce jusqu'à la meule de foin. 50 mètres presque à découvert ; combien de chance d'y laisser sa peau ? Que faire ? La bouche sèche, il hésite. Un cri vient interrompre son dilemme. Ils l'ont aperçu !

Les balles s'abattent sur le bosquet. Il roule sur lui-même, ajuste le plus proche, lâche une rafale, le touche en pleine poitrine. L'homme hésite, regarde la tache s'agrandir sur son torse, puis tombe au ralenti, comme dans un film. Le second a pris la fuite, il est maintenant à dix mètres. Raphaël l'ajuste, l'atteint entre les épaules. Une joie mauvaise l'envahit – l'adrénaline, bien sûr… ça excuse tout.


De la meule qu'il voulait atteindre, une salve part vers lui.

Pas le temps de réfléchir. À l'instinct, il fonce dans la direction d'où venaient les deux types. Il remonte la pente, se blottit dans une sorte de fossé qui le cache à peine. Heureusement pour lui, l'attention du tireur a été distraite par des claquements venant de l'ouest. Il aperçoit deux treillis marron qui cavalent vers la meule de part et d'autre pour prendre le tireur en tenaille. Il reconnaît les silhouettes de Patrick et Julien. Bon sang ! Faut un sacré cran pour faire ça ! Le premier se prend un tir alors qu'il est à quinze mètres, mais l'autre a eu le temps d'arriver au contact. Cédric ne voit plus rien. Les deux combattants lui sont dissimulés. Quelques détonations encore. Puis à nouveau le silence. Se sont-ils entre-tués ?


Les regrets viendront plus tard. Il est en sueur, il faut qu'il se calme, qu'il réévalue la situation. Il est seul désormais, il ne peut plus compter que sur lui-même. De sa position dominante, il pourrait tenter de sprinter jusqu'à la forêt. Le seul obstacle qui reste est un entassement de bûches derrière lesquels un tireur peut être dissimulé. Il n'a pas de jumelles, juste sa patience contre celle d'un éventuel sniper. Il attend : rien. Il repense alors à une ruse de guerre qu'il a vue maintes et maintes fois au cinéma. Il trouve une grosse pierre et la lance de toutes ses forces au-delà de l'amas : pas de réaction à la chute de la pierre, rien ne bouge. La place est sans doute vide. Il rampe doucement vers la position, le fusil devant lui. Il arrive au tas de bois, le contourne, se dissimule au mieux.

Il a presque réussi. La forêt est maintenant toute proche. Il reste 20 mètres à courir, une clôture à contourner, et il est sauvé. Il se ramasse sur lui-même, comme un sprinter, et jaillit de sa position.


La voix le cloue sur place.

— Stop !

C'est juste devant lui. Pourtant, il n'y a rien, à part un arbre dont le tronc étroit ne peut cacher personne. Mais la voix vient d'en haut. Il lève la tête, aperçoit dans les branches une forme verte, qui braque une arme sur lui. Fait comme un bleu, peste-t-il. Si près du but.

Stupidement, il lève les mains. Il connaît pourtant les règles. Un claquement, un choc violent au sternum. Il n'aurait pas pensé que ça ferait si mal. Sous le choc, il vacille. Sur sa veste matelassée, une flaque rouge, bizarrement pailletée.


Un coup de sifflet retentit. L'autre est descendu de l'arbre, relève sa visière. Il en fait autant. Elle a un sourire irrésistible, et un regard un peu moqueur devant son air misérable. Il reconnaît la chargée d'études du service marketing, celle qui les fait tous fantasmer.

— C'est la première fois que je tue un homme, dit-elle ; je me sens vraiment coupable ! Je peux vous inviter au bar pour me faire pardonner ?

Encore choqué, il fait oui de la tête. Il se dit que ses copains auraient bien aimé mourir de cette façon là. Et aussi qu'il aime le paintball.

Et qu'il adore les stages de cohésion d'équipe !


Image : Wix

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