
Hier, j'ai regardé Conan le Barbare à la télé – prononcez Conan à la française, sinon vous ne trouverez jamais la contrepèterie qui se termine par barbant. En fait, je n'ai regardé que le début, parce que les chefs d'œuvre, c'est comme les mets d'exception, je préfère les déguster par petites bouchées. Donc, je peux pas vous dire comment ça se termine, mais ça m'a donné des idées.
Ça commence un peu comme Bambi, avec Conan dans le rôle de Bambi. Conan, c'est Schwarzy. Remarquez, je dis Schwarzy et pas Schwarzenegger, alors que pour moi, ç'aurait été facile : je le tape une fois au clavier et puis je fais des copier-coller et je vous mets des Schwarzenegger partout, des Schwarzenegger en veux-tu en voilà et encore des Schwarzenegger. Eh ben non, je cède pas à la facilité, parce que je pense au temps que vous, vous allez mettre à lire le nom en entier alors que Schwarzy, deux syllabes et hop, vous pouvez vous concentrer sur le reste du texte, qui demande quand même pas mal d'attention !
Donc Conan-Schwarzy, il a 6 ou 7 ans – une année de Bambi, quoi ! – quand il perd son père et sa mère, sauvagement assassinés par un méchant très très méchant, je dirais 7 ou 8 sur l'échelle de méchanceté. C'est important les méchants, aussi bien que les traîtres, même si les méchants ou les traîtres de cinéma c'est sans doute des braves types qui n'ont pas une vie facile parce que les mémés les attaquent au parapluie dans la supérette pour ce qu'ils ont fait à Bambi ou à Conan. Bref, le méchant très très méchant part vers le sud pour continuer à méchancer au soleil et les méchants un peu moins méchants emmènent Conan au nord, du coup ça fait loin, je sais pas comment il fera pour se venger à la fin du film mais si ça se trouve je me trompe complétement sur le scénario.
Les méchants moins méchants l'emmènent avec plein de gosses du village de Bambi qu'ils ont ravagé et incendié (en même temps, what else, ça reste des méchants !) et là on arrive à une grande, une immense roue horizontale poussée par des captifs costauds, que d'autres méchants fouettent – j'espère que le producteur a fait des stocks pour avoir assez de méchants pour tout le film, au train où il les consomme ! – pour leur faire tourner la roue qui sert à on ne sait quoi, vu qu'on ne voit ni eau ni rien d'autre sortir de tout ça. Ils attachent à la roue Conan qui est tout petit, qui arrive à peine à toucher la barre pour la pousser et qui ressemble pas encore à Schwarzy.
Les images d'après, on voit que Conan a bien grandi et bien pris aussi. Il est musclé comme Schwarzy, à croire qu'il a été nourri au grain et élevé en plein air dans le respect du Label Rouge. La séquence dure longtemps, on comprend que la roue, c'est pas seulement un paon de sa vie, en fait c'est toute sa vie ! Et au fur et à mesure, il y a de moins en moins de pousseurs, et à la fin Conan fait tourner la roue à lui tout seul : ou bien les autres sont morts à force d'avoir été nourris au grain, tout le monde supporte pas les céréales, ou bien les patrons méchants mais avisés ont vendu les autres esclaves puisque Conan-Schwarzy pouvait faire tout le boulot. À ce moment, coup de théâtre (de film), je réalise que la roue tourne dans le même sens depuis le début ; et c'est là que j'ai un flash !
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Je ne sais pas si vous avez vu Ben-Hur, la version où Charlton joue Ben et Heston joue Hur – c'est tellement bien fait qu'on croirait que c'est la même personne – mais un passage m'avait marqué, pas le plus spectaculaire d'ailleurs. Je vous résume : le méchant Messala-Stephen Boy a trahi son ami Ben-Hur (du coup, il serait plus précis de dire son ex-ami) et l'a fait condamner aux galères. Voilà donc notre Ben-Charlton-Hur-Heston qui est enchaîné à une énorme rame, torse nu et vachement musclé. Forcément, je pense à Conan, c'est pas déconnant. Mais attendez la suite.
Ben-Hur, qui en a marre de galérer et espère passer de la rame à Rome, à croire qu'il a lu le scénar, demande au consul qui commande le navire de pouvoir changer de poste et ramer tantôt à gauche, tantôt à droite, de façon à conserver une musculature équilibrée. Le consul est surpris, mais il accepte, après tout ça lui coûte pas grand-chose, et il a intérêt à se faire bien voir de Ben qui est censé le sauver de la noyade plus tard dans le film.
Alors le flash, c'est là : je me dis que si Conan avait eu un grain de jugeotte, il aurait fait la même demande à son proprio. Sans compter qu'étant le seul ouvrier de l'entreprise, il avait tous les atouts en main pour négocier un partage capital-travail plus avantageux ; peut-être même faire évoluer la Convention Collective des Utilisateurs d'Esclaves, pour le bien des générations suivantes. Mais rien, nib, il tourne toujours la roue dans le même sens et forcément, c'est moins crédible qu'il ait les deux bras aussi musclés l'un que l'autre. Et là, j'ai dû fermer les yeux parce que j'avais eu un deuxième flash, et c'était trop !
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Je venais de penser à l'Assemblée Nationale et à ses 577 députés. Tourner toujours dans le même sens ou ramer toujours du même côté, c'est pas bon pour équilibrer sa musculature ; mais être assis dans une salle en demi-cercle, toujours à la même place, parce que ton fauteuil est numéroté, c'est pour les muscles du cerveau que c'est pas idéal ! Tu ne vois les intervenants que sous leur profil gauche, ou droit, ou de face, selon le siège que tu occupes.
Et forcément, un point de vue qui ne change pas, une vision figée de tes collègues, une impression permanente de déjà vu… tu te scléroses, la représentation nationale avec toi et c'est comme ça que la nation décline. Par exemple, les égyptiens, à force de voir les gens de profil, à un moment ils n'ont plus vu la réalité en face. Et là, sclérose : tu fabriques pyramide sur pyramide, plus d'innovations, les gens se lassent, on néglige la finition, les profils originaux ne trouvent pas de travail sur place et sont obligés de partir en Amérique pour construire des modèles avec escalier incorporé, bien plus pratiques. Et aujourd'hui, c'est triste à dire, mais quand tu veux réaliser une pyramide qui en jette un peu, plus d'égyptiens disponibles, tu es obligé de faire appel à un Chinois !
Aussi, moi qui aimes bien la France, je ne voudrais pas que ça nous arrive ; et comme c'est pas mon genre de critiquer pour critiquer, je propose une solution pour revivifier notre démocratie. Sur l'aspect financier, comme je sais que nous ne sommes pas dans une situation très favorable, je ne demande pas de droits d'auteur, ce serait indécent. Si tu es intéressé, Bruno, c'est cadeau !
Alors voilà la suggestion : faire tourner les députés. Les faire bouger. Les changer de travée, de côté, de fauteuil. Les sortir de leurs groupes, ils ont des réunions pour se retrouver et se consulter. Leur faire voir l'Assemblée, leurs collègues, leurs adversaires, les ministres, sous des jours nouveaux, des angles pluriels. Et aussi, les amener ainsi à occuper, le temps de l'examen d'une proposition de loi, le siège d'un prédécesseur illustre et emblématique.
Comment penser, par exemple, qu'une ou un député, assis pour un temps au fauteuil numéro 33, où siégea Simone Veil, pourrait ne voter que sur la base de convictions étroites ou de consignes de groupe, et ne pas se poser un instant la question qu'aurait-elle fait à ma place ?
Comment imaginer qu'un ou une autre, occupant occasionnel du siège 427 (Yves Rocard), puisse ne pas faire preuve d'un surcroît d'intégrité, de fougue et de conviction ? Ou bien, au 152 (Georges Clémenceau), ne pas combattre sans relâche l'hypocrisie, la résignation et le défaitisme ?
J'ose même espérer qu'un jour, le détenteur ou la détentrice éphémère du siège 584 cède à l'influence posthume d'Aristide Briand (prix Nobel de la paix 1926) et, le temps d'un scrutin, laisse l'esprit de paix, de conciliation et la vision des conséquences à plus long terme de son vote prévaloir sur les directives immédiates de son parti ou ses engagements de représentant du peuple ; et que le ou la même, conscient de n'avoir pas respecté le mandat pour lequel il avait été élu, retourne devant les citoyens pour s'expliquer sur les raisons qui l'on fait voter, cette fois-là, en son âme et conscience, et leur demander de lui renouveler ou non leur confiance.
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Tant que ce genre d'événement ne se produit pas, tant que l'on ne nous demande que des votes de pure forme sur des programmes dont chacun sait ou pressent l'inapplicabilité, tant que dialogue et compromis restent des mots tabous en politique, j'ai bien peur que nous ne continuions à galérer tous ensemble, mais sur des bancs de nage de gauche ou de droite, avec chacun notre vision unilatérale.
En attendant, la roue tourne…
image extraite du film Conan le Barbare, John Milius, 1982
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