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Visite en famille



Marc se pencha vers Nathalie.

— J'espère que c'est une bonne idée !

Elle lui serra le bras pour toute réponse. Ils arrivaient au pied du perron. Cléo et Mathias étaient excités comme des puces, mais ils faisaient un effort méritoire pour rester calmes. Nathalie leur lâcha la main. Les deux enfants piquèrent un sprint. Ils n'eurent pas besoin de sonner : mamie était déjà sur le seuil. Ils se jetèrent dans ses bras. Le choc ne la fit même pas vaciller.

— Mamie ! crièrent-ils tous les deux, en l'embrassant.

— Bonjour les enfants ! Quel plaisir de vous voir ! Ne hurlez pas comme ça, je ne suis pas sourde !

C'était à moitié vrai. Elle était au moins dure d'oreille, mais n'avait jamais voulu se faire appareiller. Question de coquetterie, comme le fait de ne pas faire répéter les phrases dont elle ne saisissait pas le sens.

— Bonjour Nathalie ! Tu es superbe !

Elles s'enlacèrent affectueusement.

— Merci de me rendre visite. Et toi, mon grand, comment vas-tu ?

Marc était toujours resté "son grand". Pas de raisons que cela change. Un peu gêné, il l'étreignit, puis il la tint à bout de bras et l'examina attentivement. Elle n'avait pas changé. Les cheveux gris soigneusement relevés en chignon, les yeux plissés de bonheur sous les lunettes d'écaille, et ce large sourire qui les accueillait. Il se sentait soudain intimidé devant sa mère. Que lui dire ?

Nathalie le tira d'embarras. Elle articula :

— Hélène, ne t'occupe pas de ce grand ballot. Dis-moi plutôt comment tu te portes ? Allons à la cuisine. Je suis sûre que tu nous as préparé un clafoutis maison.

Elle se mordit les lèvres. Ça faisait partie des choses à ne pas dire. Elle avait oublié cette consigne. Heureusement, les enfants n'avaient pas entendu l'échange. Ils étaient déjà partis explorer le jardin. Les deux femmes les imitèrent.

Resté seul, Marc passa dans le salon et s'assit dans le canapé en cuir, dont les craquelures disaient le temps passé. L'odeur d'antan, largement due aux cigarettes paternelles, avait disparu, mais tout était à sa place. Il fit le tour de la pièce des yeux, glissant sur les indétrônables bibelots, le bouquet sec qu'il avait toujours connu, la pendule de cheminée rococo, la table de bridge qui n'avait jamais bridgé. Son regard accrocha le buffet. Dans le premier tiroir, il y avait normalement tous les albums photos. L'histoire de la famille depuis 70 ans. Y étaient-ils toujours ? Et s'il vérifiait ? Il hésita. S'ils avaient disparu, il en serait terriblement déçu. Il préféra ne pas prendre le risque. Et puis, tous ces souvenirs accumulés, c'était un peu trop pour lui. Il sortit.

Des cris montaient du jardin. Il y descendit. Cléo tentait une partie de badminton avec son frère, mais les trois ans d'écart rendaient les échanges difficiles. Ça la mettait en colère.

— Allez, fais attention ! C'est pas rigolo de jouer avec toi ! J'en ai marre !

— J'y suis pour rien ! C'est le jeu qui marche pas bien ! se défendit Mathias. C'est nul !

De dépit, il jeta sa raquette et rejoignit mamie et Nathalie à la table de jardin, suivi de sa sœur. Marc s'assit dans un des fauteuils de plastique. Le temps était superbe, à peine croyable en cette saison. Juste quelques nuages comme pour faire ressortir le bleu pâle du ciel.

— Mamie, dit Mathias, pourquoi on peut pas aller à la plage ?

Elle se tourna vers lui, mais ne répondit pas. Son visage s'était figé dans une expression d'étonnement hébété que Marc ne lui avait jamais vue. Il intervint.

— Cléo, tu étais avec Mathias ? C'est vrai ?

— Oui, il a raison ! Il y a comme un mur, avec marqué "accès non autorisé".

— Bah, je sais pas. Peut-être des travaux… ça n'est pas très grave. Allez, asseyez-vous. Mamie, redis-nous comment vous avez trouvé cette maison ?

— Oh, ce n'est pas une histoire très intéressante. Papy allait prendre sa retraite, alors nous avons cherché en Bretagne, dans les petits villages où c'était moins cher. Nous voulions être près de la mer, pour que nos petits enfants aient envie de venir nous voir ! Mathias n'était pas encore né à l'époque.

— Je sais, dit très vite Cléo. J'étais toute petite, mais on m'a raconté. Il y avait déjà Jason et Mathilde et…

— Laisse parler Mamie, coupa Nathalie. C'est pour elle que sommes ici. Pour l'écouter et nous rappeler toutes ces belles années !

— C'est vrai que j'ai été très heureuse ici. Et j'ai pu voir grandir les enfants, les vôtres et ceux de Sébastien, été après été. Si vous saviez comme ça passe vite…

Ils continuèrent à l'écouter égrener ses souvenirs. Les enfants s'étaient levés et galopaient dans le jardin. Marc regardait sa mère, à la fois ému et crispé. Soudain, sa montre sonna. Il ne regarda pas l'écran, mais se leva d'un coup… il bredouilla.

— Bon, maman, on ne peut pas rester très longtemps. Il faut qu'on… heu, on a des…

— On a promis aux Sauvageot de passer les voir en fin d'après-midi, dit Nathalie dans un grand sourire. Et puis on ne veut pas trop vous fatiguer.

Mamie ne protesta pas. Elle s'était à nouveau figée dans son fauteuil, comme absente.

On y va, fit Marc. Ils partirent vers l'entrée.

— Cléo, Mathias, les enfants ! On repart.

Le temps de les appeler, ils étaient déjà dans leurs jambes.

— C'est déjà fini, interrogea Cléo ? On n'a pas dit au revoir à mamie !

— Maman, je veux voir mamie ! cria Mathias en écho.

— Mamie s'est endormie, mon chéri. On ne va pas la réveiller. On doit rentrer. Suivez-nous et faites attention au portillon.

Ils repassèrent aux vestiaires pour rendre leurs casques et leurs combinaisons, puis sortirent du memorarium. Sur la place bondée, Mathias, trois pas devant, n'avait d'yeux que pour les trottinettes. Nathalie s'était serrée contre son mari. Derrière, Cléo pleurait doucement, en silence. Le crachin n'avait pas cessé de la journée. Un vrai temps de Toussaint.


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