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Jour de Gala



C’est vendredi, il est plus de midi. J’ai fait les courses, je suis passé à la pharmacie, il ne me reste plus qu’à acheter le journal avec le programme télé. Je presse le pas.

Pas de chance. Au moment où je vais m’engouffrer dans la boutique, une petite dame que je n’avais pas vue – elle m’arrive à peu près au nombril – me bloque l’entrée. En soi, ce n’est pas tragique, mais je redoute deux choses : les accrocs aux jeux à gratter, qui monopolisent le comptoir pendant dix minutes entre remboursements dérisoires et réapprovisionnements interminables ; et aussi les âmes solitaires qui viennent échanger quelques euros contre leur ration quotidienne de contact social.

Mais il s’agit d’une cliente d’un troisième type.

— Vous avez Gala ?

Elle ne se déplace pas, ce serait trop facile. La patronne fait le tour du comptoir, se faufile entre nous deux – le bureau de tabac est minuscule – et prélève le magazine.

Quelque chose en moi a déjà compris que ce ne sera pas tout. Je débraie, me mets en mode observation. Dans ces cas-là, une citation de Hamlet vient à mon secours : « puisque ces événements nous échappent, feignons d’en être l’organisateur. »

Effectivement, ce n’est que le début. D’autant plus que la dame est une habituée.

— Je vais vous prendre Closer !

La buraliste repart en chasse, ajoute Closer et une proposition.

— On a reçu « Cuisine méditerranéenne ». J’ai pensé que ça vous intéresserait, je vous en ai mis un de côté.

Bingo ! La cliente valide. Je comprends que je ne pèse pas lourd, avec mes 1,35 euros de recette potentielle. Je n’ai qu’à patienter.

— Donnez-moi aussi Point de vue !

Je suis trop loin pour apercevoir les couvertures des revues sélectionnées. C’est peut-être mieux pour moi, de rester dans ma zone de confort. Je suis au bord d’un Monde dont j’ignore tout, un Univers vertigineux, du genre qui aurait effrayé Blaise Pascal.

La dame semble avoir terminé ses emplettes – 64 euros tout de même, mais c’est le prix pour rester branché. Elle farfouille dans son porte-monnaie et règle en espèces. Elle a l’éternité devant elle.

Ça va être mon tour, j’ai déjà mon journal en main. Mais non, une dernière demande.

Voici, c’est pas aujourd’hui ?

— Non non, ça paraît le mardi. Vous voulez que je vous le mette de côté ?

La petite dame a une hésitation. Puis elle secoue la tête.

— Non merci. De toutes façons, je ne sais pas si je vais continuer à le prendre. C’est vraiment – elle hésite un peu, le temps d'un sourire mi amusé, mi condescendant – c'est

people, people !


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